lundi 15 mars 2010

Causerie du lundi de Philippe Gandillet : L'art de contrepéter en société.


Bien que de tempérament circonspect, il m'arrive de contrepéter en société.

C'est, le plus souvent, un plaisir qui se goutte en solitaire. Il peut aussi se partager lorsqu'un convive imperturbable, par un clin d'œil scintillant et complice, vous adresse un éloge appuyé…" Madame je vous laisse le choix dans la date " répons-je fréquemment lorsqu'on m'informe d'un dîner en ville qu'on va organiser en mon honneur.

Non, vraiment le contrepet est un travers de l'esprit qu'il faut revendiquer ! Mais avec toute la discrétion qui s'impose… lorsqu'on se veut irrévérencieux.

Rappelons pour les novices en quoi consiste la contrepèterie : C'est l'art de décaler les sons. Ces jeux de mots consistent à permuter certains phonèmes ou syllabes d'une phrase afin d'en obtenir une nouvelle (présentant alors un sens différent et souvent vulgaire) masqué par l'apparente innocence de la sentence initiale. Les termes d'antistrophe et d'équivoque étaient employés par le passé pour qualifier cette forme de rhétorique.

On dit qu'il faut être trois pour apprécier une contrepèterie : celui qui l'énonce, celui qui la comprend, et celui qui ne la comprend pas… Freud vous dirait qu'il est normal que l'auteur d'un contrepet trouve du plaisir à transgresser un tabou sans trop risquer l'opprobre mais n'allons pas, quand même, jusqu'à cautionner les analystes qui poussent au relâchement social... (surtout en ces lendemains d'élection).


Notons pour les puristes que c'est le son et non l'orthographe qui compte. C'est en 1934 que paraît un des piliers de la littérature contrepétrique : " La Redoute des Contrepèteries". Je vous en propose, aujourd'hui, une des rééditions trouvées sur les étagères de Pierre, notre jeune libraire parti " faire campagne ". Louis Perceau y a compilé et trié des centaines de contrepèteries succulentes issues de la tradition orale ainsi que de sa propre composition. C'est dans cet ouvrage que l'on peut retrouver nombre de classiques tels que « Les nouilles cuisent au jus de canne », qui ouvre le bal en fanfare. En 1951, l'hebdomadaire " Le Canard enchaîné " contribue activement à la popularité de la contrepèterie grâce à Yvan Audouard qui y crée la première, et à ce jour unique, rubrique lui étant spécifiquement consacrée dans " l'Album de la Comtesse ".

J'ai quelquefois truffé mes pièces de théâtre de ces figures de style quand l'intensité dramatique d'une scène arrivant à son paroxysmique, une parenthèse s'imposait...

Dans " Chimène ". Acte II, Scène II.

Chimène :
Je suis mieux que mon père, je suis faite pour l'amour,
Et mon intérêt, seul, est le but que tu cours !

Dans " Benhur ". Acte I, scène III

Benhur :
Ton père aime sa fille, c'est une qualité,
C'est d'ailleurs la seule que j'ai pu déceler !


Il faut néanmoins mentionner, à l'attention des écrivains qui sont traduits à l'étranger, comme c'est mon cas, que va se poser pour le traducteur un problème insurmontable car le contrepet ne supporte pas le voyage. A ce propos, je serais curieux de savoir si cette figure de rhétorique est commune aux autres langues et si elle est utilisée lors des conversations mondaines dans d'autres pays. J'ai, par exemple, dans ma besace quelques antistrophes latines mais elles ne font rire que les bibliophiles incunabulo-compatibles…

Pour terminer cette petite causerie, plus légère qu'à l'habitude, je vous rappellerai que le contrepet est un excellent exercice intellectuel et qu'il est bien autre chose qu'une frivole amusette. C'est une science ; mieux, une œuvre d'art ; même si votre doute s'égare devant ce fait grossier. Allez boire, chers amis à l'art des mots et que votre verbe soit en joie !

Votre dévoué. Philippe Gandillet


PERCEAU (Louis). La redoute des contrepétries. C. Briffault, 1963, " Le coffret du bibliophile illustré ", petit in-12, illustrées par J. Touchet. Bon exemplaire 171pp. 39 € + port

LESOEURS (Guy). Le dire d'Hippocrate : Contrepèteries à usage médical... (avec leurs solutions). Livre neuf en vente chez un ami. 12 € + port, je crois. Il faudra que je lui demande.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

pour commencer:
il fait beau et chaud

Anonyme a dit…

Celle -ci est une blague astucieuse mais ne confondez pas la fine et l'épaisse !

Philippe Gandillet

Anonyme a dit…

Ainsi donc, Pierre préfère aux rentes et aux moutons les fiches des vieux bouquins.

Montag

Anonyme a dit…

La précédente était interrogative. Celle-ci est plus péremptoire, lue à l'Office du Tourisme d'en face de chez vous:

Beaucaire, ce n'est pas qu'un pont !

M.

Pierre a dit…

Pas de regrets ! J'étais trop attentif aux sinus des agneaux. Pierre

Pierre a dit…

Je mets les contrepétries en italique suite à une demande. Pierre