mercredi 6 mai 2015

Quarante ans de théâtre par Francisque Sarcey...


Si Alphonse Allais se moquait si fréquemment du plus célèbre critique théâtral de l'époque jusqu'à signer de son nom, ses chroniques : Francisque Sarcey,  c'est que ce dernier devait être un brave homme !

" Je ne sais pas si je vous ai dit que j'étais originaire d'un petit village près d'Honfleur. Il me semble vous l'avoir mentionné mais je n'en suis pas sûr. Où alors, si je l'ai fait, vous ne vous en rappelez plus. C'est égal. Il m'est arrivé dernièrement d'y retourner. J'y ai rencontré un artiste assez étrange qui a contribué, en son temps, à la magnificence de la sculpture Française. Vous me direz que les artistes sont souvent étranges et parbleu nous voyons quotidiennement les résultats surprenants de leur imagination débordante dans nos musées !

Mais je m'égare. C'est la proposition surprenante que m'a faite ce Monsieur qui va retenir votre attention et vous couper le souffle. Je vous assure mes amis que tout ce que je vais vous relater est strictement véridique. Il faut vous préciser que, dans un souci de perfection artistique, les monuments nationaux avaient demandé aux grands artistes de l'époque de restaurer les plus beaux fleurons de nos musées pour les présenter tels qu'ils étaient dans leur état d'origine. Cet artiste, appelons le Jean-Paul pour ne pas dévoiler son vrai prénom qui est Albert, devait refaire les bras de la Vénus de Milo.

J'étais donc à Honfleur. Quel pays délicieux quand le climat est doux et que l'on peut retrousser ses manches pour profiter du doux zéphyr normand ! Ce monsieur m'arrête, se présente et très poliment m'indique que mes avant-bras correspondent à s'y méprendre à ceux qu'il avait imaginé pour notre Vénus. Qu'auriez-vous fait ? Il se trouve que j'avais un peu de temps de libre devant moi et qu'une rétribution, somme toute alléchante, m'était allouée par le gouvernement français. Nous avons donc retroussé nos manches, lui et moi, pour offrir au plus vite les prothèses demandées aux musées nationaux.

Le jour de l'inauguration vint. Après quelques discours lénifiants, le voilage tomba pour révéler à l'assistance médusée l'harmonie de la composition et l'anatomie complète de notre Vénus. Ce n'est pas pour me vanter mais il faut reconnaître que j'ai de très jolis avant-bras.
- Messieurs ? fit alors un jeune sous-préfet boutonneux au fond de la salle.
- Je ne voudrais pas jouer les oiseaux de mauvais augure mais pour refaire les bras de la Vénus de Milo à l'identique, encore eusse t-il fallu savoir comment ils étaient avant leurs disparitions !

Je ne suis pas un adepte, vous le savez, de l'imparfait du subjonctif mais il faut reconnaître que la réflexion était tapée du bon sens. Ces Messieurs de l'institut furent convoqués dans l'heure et c'est ainsi que, dès le lendemain, notre Vénus perdit mes jolis bras qui lui allaient si bien…"  Francisque Sarcey

Et pour prouver que M. Sarcey n'en voulait pas à Alphonse Allais, voici le texte du petit envoi qu'on trouve en page de garde de l'ouvrage que je propose aujourd'hui à la vente. Si on peut supposer qu'Alphonse Allais envoyait ses chroniques avant publication à Sarcey, on peut aussi supposer qu'en retour Sarcey faisait de même avec ses nouveaux livres… Là encore, je ne garantis pas l'authenticité de la signature ! Pierre

Cher Allais,
Combien je vous remercie de m'avoir envoyé votre article si vivant, si poétique. J'ai senti en le lisant le rouge de la confusion me monter aux joues, tandis que je buvais goutte à goutte le doux suc de mon talent d'écrivain. J'ai la faiblesse de me reconnaitre dans votre style et je voulais vous en dire toute ma gratitude… F. Sarcey


SARCEY Francisque. Quarante ans de théâtre - Corneille… et la tragédie, 1900, in 12, percaline verte, dos à lettres dorées, buste de Sarcey en frontispice, bibliothèque des annales, très bon état, 15 € + port

1 commentaire:

Pierre a dit…

Petit texte comme un clin d'oeil à Hugues du BDB qui, dans son dernier billet, se plaignait de trouver des envois dans beaucoup trop de livres du Salon du Grand Palais :

" Sur certains stands, les envois étaient la règle, les vitrines en étaient remplies, et cela a finalement eu un effet terrible sur moi: au milieu de ces noms, de ces noms, de ces signatures, plus rien n'émergeait. "

Cela m'a rappelé une réflexion d'Obélix dans un album (chez les Goths, je crois) : " Au milieu de tous ces crânes, on finit par perdre la tête ! Pierre*

* Qui ne garantis ni l'authenticité du texte, ni l'envoi ;-))